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necminusultra
19 novembre 2017

Les Alsaciens; extrait du livre NOM, PRENOM,NUMERO SS réédité en un seul volume avec FRANKREICH MON AMOUR

Les Alsaciens

L’Alsace est incontestablement une des plus belles contrées de France. Mais le bon peuple qui l’habite me semble très modérément hospitalier et même plutôt xénophobe. Pourtant, les Alsaciens que je connais me sont presque tous sympathiques, mais il est vrai que j’ai fait leur connaissance en Lorraine, loin de leur repaire.

En discutant avec eux, j’ai pris l’habitude de commencer par noircir prudemment les Allemands en général, touristes et acheteurs d’immobilier en particulier, car c’est un fait que cette ravissante province est assaillie chaque fin de semaine par les premiers et durablement « envahie » par les seconds qui trouvent là une vieille ferme ou un terrain à construire pour un prix deux fois moins élevé que dans leur pays. C’est la variante moderne de la théorie du « peuple sans espace vital » de sinistre mémoire. Et si les propriétaires alsaciens vendent volontiers à des Allemands – en augmentant un peu les prix, pien zûr – d’autres Alsaciens sont là pour se plaindre de cette colonisation rampante.

Face au « Boche » qui descend forcément de sa Mercedes, l’Alsacien se montre donc souvent réservé, parfois peu aimable, et si on lui adresse la parole en suabe ou en bavarois il risque fort de dire dans son meilleur français : « Che ne fous combrends bas, Mesieur ». Ceci pour montrer à l’autre qu’il n’est plus en terre tudesque, ici. Si en revanche, un Parisien au volant de sa CX veut se renseigner sur l’endroit où l’on sert la choucroute la plus succulente il se peut qu’il obtienne en réponse une bouillie dialectale dans laquelle un spécialiste pourrait relever un « Godferdami », « nonabokel », « schissdrag » ou autre juron du cru.

Ainsi l’Alsacien montre son indépendance concrétisée d’ailleurs par quantité de lois qui ne s’appliquent qu’à lui ; et comme, par hasard, il s’agit là de lois datant de l’époque où l’Alsace – de 1871 à 1918 – fut rattachée à l’empire allemand. Tout ce qui pouvait apparaître comme plus avantageux – des jours fériés supplémentaires, l’organisation de la chasse, la sécurité sociale, etc. – fut conservé lorsque le traité de Versailles rendit la belle province à la France. Si l’on ajoute le fait que des dizaines de milliers de « frontaliers » gagnent largement leur vie en travaillant outre-Rhin on s’étonnera moins de la prospérité alsacienne nettement supérieure à la moyenne française.

Il y a quelques années, j’ai rencontré à plusieurs reprises un Alsacien assez surprenant. Marié avec une Lorraine et habitant à Nancy, il se promène en ville vêtu d’une culotte de peau et dit sans rire : « Je vis ici en exil. » Avec une passion inouïe il dénonce la traîtrise d’un duc de Lorraine qui a massacré bien des Alsaciens, il y a quelques siècles. Les Lorrains sont donc des traîtres et des assassins, et il est obligé de vivre parmi les descendants de cette engeance.

La rage l’étrangle, alors. Il boit un coup. Et encore un. Au bout d’une heure, nous sommes arrivés à la deuxième guerre mondiale. Là, je suis très prudent, et je me mets à déplorer le sort des « malgré-nous ». Puis j’ajoute dans une subordonnée, pour équilibrer un peu le débat, que certains Alsaciens avaient aussi profité de la situation en entrant au parti nazi, en occupant des postes relativement élevés dans la hiérarchie brune ou en s’intégrant à la Waffen-SS comme ceux accusés d’avoir participé au massacre d’Oradour-sur-Glane qui avaient été lourdement condamnés, puis aussitôt graciés.

Ce genre de faits historiques, mon interlocuteur, pourtant bien placé pour les connaître, ne put les supporter venant d’un sale boche. Une véritable bordée d’injures alsaciennes s’abattit sur moi qui étais le seul à en saisir approximativement le sens, puisque les autres invités ignoraient cet idiome. Quelle superbe crêpe - party ! Tout le monde était navré, en particulier l’épouse du coléreux qui s’excusa et entraîna vers la sortie l’objet de sa honte qui grommelait encore des restes de jurons que l’assistance devait prendre pour des borborygmes.

Depuis ce jour-là, je n’ai plus jamais prononcé le nom d’Oradour devant des oreilles alsaciennes, car je m’étais aperçu qu’il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire à tout le monde. Pourtant, n’est-ce pas ridicule de revendiquer une virginité parfaite pour tout un peuple ? N’y a-t-il pas des brebis galeuses dans tout troupeau ? Certes, mais on ne tolère pas qu’un étranger les montre de son sale doigt sans serrer aussitôt les rangs autour d’elles.

Avec mes nombreux élèves alsaciens, en revanche, j’ai toujours entretenu des relations amicales. Ils sont souvent excellents en allemand et généralement disciplinés. En classe, je n’ai jamais mentionné certains détails de l’histoire récente qui auraient pu les peiner, et en dénigrant quelque peu mes compatriotes – technique infaillible – j’obtenais toujours la réaction souhaitée : ils parlaient des virées en Allemagne qu’ils faisaient le dimanche, de l’accueil chaleureux que la jeunesse badoise leur réservait et des chopines qu’on leur avait offertes dans les auberges de la Forêt Noire. Sympas, les Chleuhs, somme toute. Mais il fallait que ce soient eux qui le disent.

Ce peuple, ballotté entre deux nations, arraché au Saint- Empire par Louis XIV, annexé par Bismarck au nouveau Reich, récupéré après l’armistice de 1918, réintégré dans l’Allemagne hitlérienne et redevenu français à la fin de 1944, ce peuple a su préserver ses traditions, sa langue, son caractère. Il a tenu bon contre vents et marées, gardant toujours une autonomie certaine que Guillaume Premier autant que Poincaré ont dû lui concéder. Et chaque fois, sauf sous Hitler, ils ont su monnayer leur retour dans l’un ou l’autre camp en obtenant des dérogations et des passe-droits, des avantages fiscaux et des libertés particulières. Que d’autres mènent des guerres, toi, heureuse Alsace, change de pays !

Ce qui m’a toujours amusé c’est d’observer la crainte qu’éprouvent les Alsaciens d’être pris pour des Allemands. D’abord, il y a la langue, le dialecte alsacien qui n’a rien de particulier puisqu’il est parlé également dans le pays de Bade et en Suisse septentrionale. Les linguistes l’appellent « alémanique » et le considèrent comme un des nombreux parlers régionaux de l’espace « germanophone » qui dépasse de beaucoup les frontières allemandes puisqu’il va toujours – comme le poète de 1848 le disait dans son hymne – « de l’Adige jusqu’au Belt » et « de la Meuse jusqu’au Niémen ». Je trouve d’ailleurs rassurant que malgré toutes les guerres que les nations européennes se sont livrées entre elles, les limites linguistiques n’aient pas ou très peu changé alors que les frontières d’état ont été modifiées cent fois.

Le Français « de l’intérieur » a une idée précise du village alsacien typique qu’il ne saurait confondre avec un village lorrain ou franc-comtois. En revanche, il ressemble énormément aux villages badois et suisses qui ne sont séparés que par le Rhin, ce fleuve qui constitue, plutôt qu’une frontière, une voie navigable et donc un lien entre les riverains, un bien commun tellement utile au commerce depuis l’époque romaine.

La mentalité si particulière des Alsaciens m’a toujours paru très familière puisque c’est aussi….. la mienne. L’attachement à la nature, le soin apporté à la beauté des bâtiments et des jardins, un certain perfectionnisme, la fierté que l’on tire d’un travail bien fait et qui est accompli sans qu’un petit chef ait à l’imposer, la discipline consentie librement quand elle est jugée nécessaire, l’entraide qui va de soi, l’envie de chanter dès qu’on est assez nombreux pour former une petite chorale, tout cela et bien d’autres éléments constituent une entité indissociable devant laquelle la couleur d’un passeport est de peu d’importance.

Je crois même que les Alsaciens se défendent d’autant plus farouchement d’être Allemands qu’ils ressentent profondément cette similitude. Tant qu’ils seront citoyens français ils espèrent maintenir leur particularité culturelle, et c’est peut-être ce désir d’autonomie qui en a fait, à plusieurs reprises, de si ardents patriotes français. Bismarck et Hitler ne s’étaient évidemment pas embarrassés de telles considérations. On annexa l’Alsace-Lorraine pour humilier et affaiblir la France ou pour réaliser le rêve fou d’un pangermanisme dominant l’Europe. Et chaque fois, l’Alsace fut déchirée, divisée jusqu’au sein des familles, et ces plaies-là ne cicatrisent pas en une seule génération. Il faudrait un siècle de paix entre la France et l’Allemagne ou la disparition de toutes les frontières en Europe.

L’Europe….. voilà la vocation de ce peuple bilingue qui pourrait servir de chaînon entre ces deux nations qui se traitaient l’une l’autre, il n’y a pas si longtemps, d’ « ennemi héréditaire » parce qu’elles ne se comprenaient pas.   

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