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necminusultra

19 novembre 2017

Les Alsaciens; extrait du livre NOM, PRENOM,NUMERO SS réédité en un seul volume avec FRANKREICH MON AMOUR

Les Alsaciens

L’Alsace est incontestablement une des plus belles contrées de France. Mais le bon peuple qui l’habite me semble très modérément hospitalier et même plutôt xénophobe. Pourtant, les Alsaciens que je connais me sont presque tous sympathiques, mais il est vrai que j’ai fait leur connaissance en Lorraine, loin de leur repaire.

En discutant avec eux, j’ai pris l’habitude de commencer par noircir prudemment les Allemands en général, touristes et acheteurs d’immobilier en particulier, car c’est un fait que cette ravissante province est assaillie chaque fin de semaine par les premiers et durablement « envahie » par les seconds qui trouvent là une vieille ferme ou un terrain à construire pour un prix deux fois moins élevé que dans leur pays. C’est la variante moderne de la théorie du « peuple sans espace vital » de sinistre mémoire. Et si les propriétaires alsaciens vendent volontiers à des Allemands – en augmentant un peu les prix, pien zûr – d’autres Alsaciens sont là pour se plaindre de cette colonisation rampante.

Face au « Boche » qui descend forcément de sa Mercedes, l’Alsacien se montre donc souvent réservé, parfois peu aimable, et si on lui adresse la parole en suabe ou en bavarois il risque fort de dire dans son meilleur français : « Che ne fous combrends bas, Mesieur ». Ceci pour montrer à l’autre qu’il n’est plus en terre tudesque, ici. Si en revanche, un Parisien au volant de sa CX veut se renseigner sur l’endroit où l’on sert la choucroute la plus succulente il se peut qu’il obtienne en réponse une bouillie dialectale dans laquelle un spécialiste pourrait relever un « Godferdami », « nonabokel », « schissdrag » ou autre juron du cru.

Ainsi l’Alsacien montre son indépendance concrétisée d’ailleurs par quantité de lois qui ne s’appliquent qu’à lui ; et comme, par hasard, il s’agit là de lois datant de l’époque où l’Alsace – de 1871 à 1918 – fut rattachée à l’empire allemand. Tout ce qui pouvait apparaître comme plus avantageux – des jours fériés supplémentaires, l’organisation de la chasse, la sécurité sociale, etc. – fut conservé lorsque le traité de Versailles rendit la belle province à la France. Si l’on ajoute le fait que des dizaines de milliers de « frontaliers » gagnent largement leur vie en travaillant outre-Rhin on s’étonnera moins de la prospérité alsacienne nettement supérieure à la moyenne française.

Il y a quelques années, j’ai rencontré à plusieurs reprises un Alsacien assez surprenant. Marié avec une Lorraine et habitant à Nancy, il se promène en ville vêtu d’une culotte de peau et dit sans rire : « Je vis ici en exil. » Avec une passion inouïe il dénonce la traîtrise d’un duc de Lorraine qui a massacré bien des Alsaciens, il y a quelques siècles. Les Lorrains sont donc des traîtres et des assassins, et il est obligé de vivre parmi les descendants de cette engeance.

La rage l’étrangle, alors. Il boit un coup. Et encore un. Au bout d’une heure, nous sommes arrivés à la deuxième guerre mondiale. Là, je suis très prudent, et je me mets à déplorer le sort des « malgré-nous ». Puis j’ajoute dans une subordonnée, pour équilibrer un peu le débat, que certains Alsaciens avaient aussi profité de la situation en entrant au parti nazi, en occupant des postes relativement élevés dans la hiérarchie brune ou en s’intégrant à la Waffen-SS comme ceux accusés d’avoir participé au massacre d’Oradour-sur-Glane qui avaient été lourdement condamnés, puis aussitôt graciés.

Ce genre de faits historiques, mon interlocuteur, pourtant bien placé pour les connaître, ne put les supporter venant d’un sale boche. Une véritable bordée d’injures alsaciennes s’abattit sur moi qui étais le seul à en saisir approximativement le sens, puisque les autres invités ignoraient cet idiome. Quelle superbe crêpe - party ! Tout le monde était navré, en particulier l’épouse du coléreux qui s’excusa et entraîna vers la sortie l’objet de sa honte qui grommelait encore des restes de jurons que l’assistance devait prendre pour des borborygmes.

Depuis ce jour-là, je n’ai plus jamais prononcé le nom d’Oradour devant des oreilles alsaciennes, car je m’étais aperçu qu’il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire à tout le monde. Pourtant, n’est-ce pas ridicule de revendiquer une virginité parfaite pour tout un peuple ? N’y a-t-il pas des brebis galeuses dans tout troupeau ? Certes, mais on ne tolère pas qu’un étranger les montre de son sale doigt sans serrer aussitôt les rangs autour d’elles.

Avec mes nombreux élèves alsaciens, en revanche, j’ai toujours entretenu des relations amicales. Ils sont souvent excellents en allemand et généralement disciplinés. En classe, je n’ai jamais mentionné certains détails de l’histoire récente qui auraient pu les peiner, et en dénigrant quelque peu mes compatriotes – technique infaillible – j’obtenais toujours la réaction souhaitée : ils parlaient des virées en Allemagne qu’ils faisaient le dimanche, de l’accueil chaleureux que la jeunesse badoise leur réservait et des chopines qu’on leur avait offertes dans les auberges de la Forêt Noire. Sympas, les Chleuhs, somme toute. Mais il fallait que ce soient eux qui le disent.

Ce peuple, ballotté entre deux nations, arraché au Saint- Empire par Louis XIV, annexé par Bismarck au nouveau Reich, récupéré après l’armistice de 1918, réintégré dans l’Allemagne hitlérienne et redevenu français à la fin de 1944, ce peuple a su préserver ses traditions, sa langue, son caractère. Il a tenu bon contre vents et marées, gardant toujours une autonomie certaine que Guillaume Premier autant que Poincaré ont dû lui concéder. Et chaque fois, sauf sous Hitler, ils ont su monnayer leur retour dans l’un ou l’autre camp en obtenant des dérogations et des passe-droits, des avantages fiscaux et des libertés particulières. Que d’autres mènent des guerres, toi, heureuse Alsace, change de pays !

Ce qui m’a toujours amusé c’est d’observer la crainte qu’éprouvent les Alsaciens d’être pris pour des Allemands. D’abord, il y a la langue, le dialecte alsacien qui n’a rien de particulier puisqu’il est parlé également dans le pays de Bade et en Suisse septentrionale. Les linguistes l’appellent « alémanique » et le considèrent comme un des nombreux parlers régionaux de l’espace « germanophone » qui dépasse de beaucoup les frontières allemandes puisqu’il va toujours – comme le poète de 1848 le disait dans son hymne – « de l’Adige jusqu’au Belt » et « de la Meuse jusqu’au Niémen ». Je trouve d’ailleurs rassurant que malgré toutes les guerres que les nations européennes se sont livrées entre elles, les limites linguistiques n’aient pas ou très peu changé alors que les frontières d’état ont été modifiées cent fois.

Le Français « de l’intérieur » a une idée précise du village alsacien typique qu’il ne saurait confondre avec un village lorrain ou franc-comtois. En revanche, il ressemble énormément aux villages badois et suisses qui ne sont séparés que par le Rhin, ce fleuve qui constitue, plutôt qu’une frontière, une voie navigable et donc un lien entre les riverains, un bien commun tellement utile au commerce depuis l’époque romaine.

La mentalité si particulière des Alsaciens m’a toujours paru très familière puisque c’est aussi….. la mienne. L’attachement à la nature, le soin apporté à la beauté des bâtiments et des jardins, un certain perfectionnisme, la fierté que l’on tire d’un travail bien fait et qui est accompli sans qu’un petit chef ait à l’imposer, la discipline consentie librement quand elle est jugée nécessaire, l’entraide qui va de soi, l’envie de chanter dès qu’on est assez nombreux pour former une petite chorale, tout cela et bien d’autres éléments constituent une entité indissociable devant laquelle la couleur d’un passeport est de peu d’importance.

Je crois même que les Alsaciens se défendent d’autant plus farouchement d’être Allemands qu’ils ressentent profondément cette similitude. Tant qu’ils seront citoyens français ils espèrent maintenir leur particularité culturelle, et c’est peut-être ce désir d’autonomie qui en a fait, à plusieurs reprises, de si ardents patriotes français. Bismarck et Hitler ne s’étaient évidemment pas embarrassés de telles considérations. On annexa l’Alsace-Lorraine pour humilier et affaiblir la France ou pour réaliser le rêve fou d’un pangermanisme dominant l’Europe. Et chaque fois, l’Alsace fut déchirée, divisée jusqu’au sein des familles, et ces plaies-là ne cicatrisent pas en une seule génération. Il faudrait un siècle de paix entre la France et l’Allemagne ou la disparition de toutes les frontières en Europe.

L’Europe….. voilà la vocation de ce peuple bilingue qui pourrait servir de chaînon entre ces deux nations qui se traitaient l’une l’autre, il n’y a pas si longtemps, d’ « ennemi héréditaire » parce qu’elles ne se comprenaient pas.   

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17 novembre 2017

Ernst jeune

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Mareile profil

15 novembre 2017

la biofiction "Le bonheur est une denrée périssable"

 

 

Le bonheur est une denrée périssable

 

Jeune enfant, j'avais découvert les cadres avec des photos au format de cartes postales derrière la vitre de la bibliothèque dans notre salle de séjour. Une très belle femme souriante. Deux petites filles à l'air rêveur. Un homme dont le regard évitait l'objectif, sérieux, songeur.

On m'avait raconté que la dame était l'unique sœur de ma mère, que je devais l'appeler tante Mareile. Les deux petites filles, Gertrud et Ingrid, étaient mes cousines. Et le monsieur, mon oncle Ernst.

Ce qui m'avait frappé à l'époque c'était la réaction de ma mère qui s'essuyait des larmes chaque fois que je lui posais des questions sur ces photos. Au début, je ne comprenais pas bien le sens de « mort ». D'autant plus qu'on me disait que l'oncle Ernst habitait dans l'Odenwald, qu'il était mon parrain et qu'on allait lui rendre visite un de ces jours. Mais que je ne verrais jamais ma tante ni mes cousines. « Mort » était donc synonyme d'« absent » ou « invisible ».

Ce qui m'avait chiffonné aussi c'était que mes grandes sœurs recevaient de la part de leurs marraines une petite cuiller pour Noël et un couteau ou une autre pièce d'argenterie pour leur anniversaire afin de constituer leur « trousseau ». Mon parrain à moi ne m'offrait rien. « L'oncle Ernst a oublié qu'il est ton parrain. On préfère ne pas lui en parler. Un jour cela lui reviendra peut-être. »

Plus tard, j'avais appris au hasard des conversations entre adultes ce qui était arrivé à tous ces membres disparus de ma famille. Et pourquoi mon oncle, lui, était toujours là. On le disait « malade », « fragile », pire :« épileptique ». Pas comme mes autres oncles, les frères de mon papa.

Et avant chaque rencontre avec lui on me répétait : « Surtout, ne lui pose pas de questions sur tante Mareile et ses filles ! » Sans comprendre la raison de cet interdit je le respectais. Et pourtant, l'oncle Ernst était marié avec la tante Martha « en secondes noces ». Une femme très affectueuse et douce que j'aimais bien.

Adolescent, j'ai commencé à enquêter autour de moi pour savoir ce qui s'était passé dans ma famille et mon voisinage pendant la guerre. Alors toute l'horrible réalité m'a été révélée. Et j'ai appris le sort incroyable de mon oncle Ernst.

Après la naissance de Nils, en 1972, quelqu'un avait dû évoquer devant l'oncle Ernst son rôle oublié de parrain. Et dorénavant, à chaque anniversaire et à Noël des paquets cadeaux arrivaient chez nous (plus tard aussi pour Elsa) en « dommages et intérêts » de ceux que je n'avais pas reçus, enfant.

En 2005, nous avions rendu visite à l'oncle Ernst dans sa maison de Waldmichelbach. Il avait 96 ans et n'avait perdu ni son sens de l'humour ni son esprit de répartie. Sur la petite table dans la salle de séjour se trouvaient, comme 60 ans avant, les photos en noir et blanc de ses enfants, de Mareile et de ses parents.

Dans mon premier livre, « Nom, Prénom, Numéro SS », l'histoire de l'oncle Ernst tient une place importante. Mais à cette époque je ne connaissais que les grandes lignes de son destin. Pendant les années suivantes, mon envie d'apprendre davantage sur sa vie ne m'a jamais quitté.

Et en 2014, j'ai commencé à rassembler toutes les informations le concernant. J'ai notamment posé de nombreuses questions à ma sœur Ursula qui avait été très proche de lui (Ernst et Mareile avaient été ses parrain et marraine en 1935). Elle m'a envoyé en réponse une lettre d'une quinzaine de pages écrites entre le jeudi et le lundi de Pâques. Et quand elle avait su que j'avais choisi de raconter l'histoire à travers les pages d'un journal intime, elle m'avait appris l'existence d'un tel journal détenu par une de ses nièces côté Kleinschmidt.

Peu de temps après, j'avais pu me pencher sur les pages couvertes d'une écriture petite et régulière, en gothique d'abord (1928), en écriture cursive latine ensuite (1944).

Souvent, en écrivant j'ai été submergé par l'émotion. Souvent, j'ai dû m'interrompre parce que les larmes me montaient aux yeux. Les témoignages oculaires des Darmstadtois qui avaient décrit l'horreur de la nuit du 9 septembre 1944 m'ont touché également très fortement. Je n'avais pas prévu qu'il serait aussi difficile et compliqué de me mettre dans la peau d'un homme qui avait connu l'enfer.

Le début du livre :

Ce n'est qu'au moment où la lumière rouge accrochée au dernier wagon du rapide Budapest-Munich disparut complètement dans la brume que Stefan Gross se retourna, remonta le quai et se dirigea vers la sortie de la gare centrale. La ville était très faiblement éclairée pour ne pas attirer les escadrilles de bombardiers soviétiques. Un climat d'angoisse régnait dans la population. Les rues étaient presque désertes.

Stefan se sentait à la fois soulagé et malheureux d'avoir laissé partir sa femme Sophie et leurs filles Siegrid et Lydia pour qu'elles se mettent à l'abri dans l'appartement des parents Gross, à Darmstadt, au centre du Reich. Jusqu'à nouvel ordre, il allait rester à son poste de professeur au lycée allemand de la capitale hongroise.

Samedi, le 9 septembre 1944

  

Sophie vient de téléphoner au lycée. Elle est bien arrivée à Darmstadt avec les filles. A cause d'un bombardement de la voie ferrée il a fallu dévier leur train entre Ulm et Stuttgart, mais cela n'a engendré que six heures de retard. Je suis très soulagé de savoir tous les miens réunis sous le toit paternel dans la Heinrichstrasse.

Ici à Budapest, les bombardements des Soviets prennent de l'ampleur et commencent à faire de sérieux dégâts. Au lycée nous ne disposons que des caves à peine aménagées en abris. A chaque alerte pendant les cours, les élèves habitant à proximité regagnent leur domicile en courant. Ce matin, quand une bombe avait explosé assez près du lycée, un élève de sixième a fait une crise de nerfs. Ses hurlements nous ont tous touchés très fortement. Cette sensation d'impuissance devant le danger est affreuse.

Mardi, le 12 septembre 1944

 

 

 

C'est l'horreur ! Ce matin, à 6 heures, quand j'ai allumé le récepteur pour écouter le bulletin d'informations, la première chose que j'ai entendue était que, cette nuit, Darmstadt avait été sévèrement bombardé. J'ai couru jusqu'à la cabine publique et j'ai essayé de téléphoner à mes parents, puis à d'autres Darmstadtois dont j'avais le numéro. Mais au bout du fil, c'est le silence total. Aucune sonnerie. Tout le réseau doit être hors service.

Le proviseur était déjà au courant quand je suis arrivé au lycée. Il m'a accordé aussitôt une semaine de congé exceptionnel pour que je puisse me rendre sur place.

Je suis incapable de manger tellement mon angoisse est forte. J'ai beau me dire que notre cave est un abri quasi parfait avec ses portes blindées et les ouvertures vers les sous-sols des maisons mitoyennes, rien n'y fait. La peur me glace et m'empêche de réfléchir calmement.

Je suis allé jusqu'à la gare pour me renseigner sur les trains. Entre Budapest et Darmstadt il y a plusieurs interruptions du trafic et donc de longs détours en perspective ou des retards dus au fait qu'il ne reste qu'une voie pour les deux directions et que les transports militaires sont prioritaires.

Quand vais-je arriver à Darmstadt ? Et que vais-je y trouver ? Mon frère aussi doit être terriblement inquiet. Depuis des semaines, je n'ai plus de nouvelles de lui. Il se bat quelque part à l'ouest contre les Américains.

 

 

 

Le 11 septembre 1944 fut une journée ensoleillée.1 La veille, pendant toute la journée, les escadrilles de bombardiers américains avaient survolé le sud-ouest de l'Allemagne. Accompagnés par leurs chasseurs et face à une Luftwaffe exsangue, volant trop haut pour la DCA, les Américains étaient les maîtres de l'espace aérien au-dessus du Reich. De nuit, décollant de leurs bases en Normandie, les Anglais lançaient leurs fameuses attaques de « mille bombardiers ».

Mais les Darmstadtois croyaient que les Anglais épargneraient leur ville d'une part à cause des liens familiaux entre les maisons de Windsor et de Hesse, d'autre part à cause du peu d'intérêt stratégique de la ville. D'ailleurs le Haut Commandement de la Wehrmacht semblait partager ce raisonnement puisque Darmstadt ne disposait que d'une DCA de faible puissance. 150 pompiers professionnels, les groupes d'intervention et du secours civil, de la Croix Rouge et de la police étaient opérationnels. Jusqu'ici, lors des bombardements précédents, ces hommes avaient suffi pour sortir les gens des caves des rares maisons touchées et pour éteindre les flammes.

Mais ce que les Darmstadtois ignoraient c'était le fait que leur ville figurait sur la liste de la Royal Air Force dans laquelle le patron des bombardiers, Sir Arthur Harris, choisissait les cibles pour sa stratégie du « moral bombing », des bombardements qui devaient briser la volonté de résistance de la population civile.

Et puis la ville abritait deux objectifs classés « secret défense » : d'une part l'usine Röhm & Haas fabriquait du gaz acrylique indispensable à la production d'avions de guerre ; d'autre part, à l'école polytechnique, l'équipe du Professeur Walther - considéré comme l'inventeur du premier « cerveau électronique » - participait à l'élaboration des systèmes de guidage pour les missiles V2. Peut-être les Anglais savaient-ils également qu'en 1942 et 43 le lycée Liebig avait servi de lieu de rassemblement pour plus de trois mille Juifs et Roms habitant la Hesse méridionale qui avaient été déportés vers Lublin, Theresienstadt et Auschwitz. Et enfin, quoi qu'il en fût, ces bombardements mobilisaient la chasse allemande et déchargeaient ainsi les fronts à l'ouest comme à l'est.

En outre, Darmstadt se prêtait parfaitement à l'expérimentation d'une nouvelle technique de destruction par le feu que le commandant de la Cinquième Flotte de bombardiers, Sir Ralph Cochrane, et son staff avaient imaginée. Une ville avec un noyau moyenâgeux aux maisons mitoyennes bâties le long de rues étroites flamberait d'autant plus facilement que le feu ne s'arrêterait pas devant les maisons non touchées par les bombes. Le retrait, le 10 septembre, de trois des quatre batteries de DCA et leur transfert à Francfort n'avait pas non plus échappé aux éclaireurs britanniques.

Au matin du 11 septembre, Cochrane reçoit l'ordre d'anéantir Darmstadt pendant la nuit. C'est Lord Frederick Cherwell, conseiller militaire de Churchill et ancien étudiant de l'école polytechnique de Darmstadt, qui a fourni les ultimes précisions nécessaires au succès de la mission grâce à sa connaissance parfaite du centre-ville.

Du côté d'Aix-la-Chapelle, les Alliés foulent déjà le sol allemand. Le pays d'Hitler est devenu une « forteresse sans toit » largement dominée par l'US Air Force, le jour, et La Royal Air Force, la nuit. Cette nuit-là, le vice-maréchal Cochrane appliquera donc pour la première fois sa nouvelle méthode pour dévaster un centre-ville.

Au lieu de lancer une interminable file d'avions jetant leurs bombes les uns après les autres, on va essayer une attaque « en éventail ». Toute la ville doit flamber en très peu de temps. Sur les dix escadrilles de bombardiers Lancaster, trois se dirigeront vers le nord dans un angle de 45 degrés, trois autres vers le sud, et les quatre restantes voleront tout droit vers l'hyper centre de la ville. La plaque tournante pour l'exécution de l’éventail sera l'Exerzierplatz2dont l'immense carré de sable à l'ouest de la ville est parfaitement visible du ciel par une nuit claire. Une escadrille de Mosquito, des bi-moteurs plus petits, bombardera les usines chimiques à la périphérie septentrionale. Sir Cochrane et ses assistants voleront également dans ces Mosquito.

 

 

Depuis le récent bombardement de Stuttgart, le lieutenant-colonel Pitt sait que les nouvelles bombes incendiaires développent un brasier si intense que les points de repère au sol deviennent vite invisibles. Il ordonne donc aux commandants de bord de ses avions de larguer les bombes entre quatre et douze secondes après le passage au-dessus du champ de mars. Des bombes éclairantes faciliteront la visée. Ce soir-là, 234 quadrimoteurs Lancaster et une escadrille de Mosquito très rapides et agiles attaquent Darmstadt sous le commandement du « masterbomber » de Sir Cochrane et des avions de ses cinq assistants, tous également à bord de Mosquito.

 

 

A 23 h 25, les sirènes de Darmstadt se mettent à hurler. C'est la quatrième alerte de la journée.

Le Mosquito équipé des instruments de mesure météorologiques quitte la formation et monte à sept mille mètres, l'altitude prévue pour le bombardement. Le vent souffle du nord-ouest à 43 nœuds. La visibilité est parfaite. Les avions portant les bombes éclairantes déclenchent leurs engins qui descendront très lentement vers le champ de mars suspendus à des parachutes. Le champ est plongé dans une lumière intense. Les deux assistants du « masterbomber » descendent à mille mètres et lâchent les bombes de marquage, d'abord les rouges, puis les vertes. Sauf une seule, elles atterriront toutes sur le champ de mars. Celle qui est tombée sur la gare de l'Est, deux kilomètres plus loin, voit sa lumière verte neutralisée par le jet d'une bombe éclairante jaune.

Tout est prêt. Le « masterbomber » remonte et décrit des cercles. Il commande aux escadrilles de la Cinquième Flotte de bombardiers de se mettre en position d'attaque. Les trois groupes de la première vague arrivent par l'ouest. Ses soixante-dix Lancaster se dirigent vers le nord-est à partir du champ de mars. Quelques secondes après, leurs soutes s'ouvrent et les lourdes bombes explosives descendent sur la ville suivies par une pluie de petites bombes incendiaires et de jerricans remplis de phosphore. Les quartiers septentrionaux de Darmstadt disparaissent sous un déluge d'explosions et d'incendies. Il est 23 h 35. Le tapis de bombes se déroule.

Au-dessus du champ de mars, les trois escadrilles de la seconde vague mettent le cap au sud-est afin de détruire les maisons au sud de la ville. Pour finir, les quatre dernières escadrilles se dirigent droit sur le centre-ville.

Au bout de trente minutes, tout est fini. L'éventail a bien fonctionné. Darmstadt n'est plus qu'un immense brasier. Le nombre de bombes est de 234 « mines » géantes entre 500 et 1000 kilos, 500 bombes explosives ordinaires et 300 000 bombes incendiaires dont environ 2 000 au phosphore.

 

 

Ce soir-là, les habitants de Darmstadt avaient eu à peine le temps de réveiller les enfants et de gagner précipitamment les caves. La ville ne disposait d'aucun blockhaus collectif d'une taille importante. Certains immeubles possédaient des caves solidement voûtées, mais la plupart des maisons n'offraient qu'une protection très relative vu la puissance inouïe des nouvelles bombes.

 

 

Ce soir-là, quand les gens voient la lumière blanche des bombes éclairantes à l'ouest, les feux rouges et verts au-dessus du champ de mars et la gare de l'Est plongée d'abord dans une lumière verte, puis jaune, ils comprennent que le bombardement à venir serait bien plus destructeur que tous ceux qu'ils avaient subis jusque-là.

 

 

Ce soir-là, pendant trente interminables minutes, la mort vrombit au-dessus de la ville. Les Lancaster volant à 7 000 mètres d'altitude lancent leurs bombes explosives qui doivent éventrer les maisons et ouvrir ainsi une voie aux bombes incendiaires qui achèveront la destruction par le feu. De temps en temps, on entend des détonations si fortes qu'elles font trembler la terre : ce sont les nouvelles bombes surdimensionnées que les Alliés appellent « Blockbuster » ou « Tallboy ». Ces engins détruisent tout à cent mètres à la ronde grâce à une onde de choc dévastatrice. Les humains qui se trouvent là, même à plusieurs centaines de mètres, meurent, les poumons déchirés.

 

 

Dans les caves, les gens sont renversés par la violence des déflagrations. Ils se recroquevillent sous la grêle des coups, ils gémissent, les yeux écarquillés de peur panique. Des hurlements, des prières ou une attente silencieuse de la mort.

 

 

Après les premières explosions, partout, la lumière s'est éteinte. Des portes métalliques s'ouvrent sous la pression, des poutres éclatent, les ouvertures qui relient les caves des maisons mitoyennes s'écroulent et deviennent infranchissables. La poussière et la puanteur rendent la respiration difficile. Les plafonds se fissurent, le sol bouge. Les mères pressent les têtes de leurs enfants dans leur giron et se penchent en avant comme si elles pouvaient les protéger ainsi.

 

 

Trente minutes. Trente éternités.

 

 

Peu après minuit, le vrombissement diminue, puis s'arrête. Partout où les bombes explosives n'ont pas tout pulvérisé et dans les quartiers périphériques, les premières personnes sortent des caves en tâtonnant pour tenter d'éteindre les flammes sur leurs toits ou dans les étages supérieurs. Mais les faibles réserves de sable et d'eau dont ils disposent sont vite épuisées.

C'est alors qu'une nouvelle série de fortes détonations à l'ouest de la ville les fait retourner vite dans les abris. L'attaque n'est donc pas terminée ? Mais on n'entend aucun moteur d'avion. Sur une voie de garage, à un kilomètre de la gare centrale, les wagons d'un train chargés de munitions ont pris feu. Des dizaines de milliers de grenades explosent et font que les Darmstadtois restent enfermés dans les caves à l'atmosphère de plus en plus chaude et irrespirable. Pas très loin du centre-ville, un convoi de camions également plein de munitions subit le même sort que le train. Les déflagrations empêchent les gens d'emprunter l'axe principal de la ville, la Rheinstrasse.

 

 

 

A l'extérieur, l'incendie sévit et fait éclater les vitres et s'effondrer les toits. De minute en minute, la température monte dans les caves. La respiration, même à travers des tissus humidifiés, devient douloureuse. Des personnes âgées tombent en perdant connaissance. Des enfants pleurent. Ceux qui pensent avoir survécu au bombardement entendent les nouvelles explosions et restent dans les abris qui offrent une sécurité trompeuse. Ainsi plusieurs milliers d'habitants mourront asphyxiés dans les sous-sols de leurs maisons en feu.

 

 

Puisque personne n'est là pour le combattre sérieusement, l'incendie est vite devenu invincible. Des tonnes de phosphore ont été déversées sur le centre-ville et tous ces feux s'étendent et s'unissent maintenant en une immense mer de flammes.

Il est presque une heure du matin lorsqu'il se produit ce que les spécialistes anglais avaient calculé : le feu alimenté par les immeubles mitoyens de rues entières, puis par les maisons de tout le quartier fait monter vers le ciel noir de fumées des braises incandescentes. L'air froid des alentours est alors aspiré de plus en plus vite. Une sorte de cheminée géante se forme au-dessus de la ville et déclenche une tempête de feu qui aspire et anéantit tout. A l'aube, sur les villages des bords du Rhin (pourtant distants d'une vingtaine de kilomètres) retomberont les cendres et parmi elles des pages de livres aux bords noircis.

A deux heures, la ville est éclairée comme en plein jour. Un bûcher qui rougit le ciel et duquel personne ne peut s'échapper s'il se trouve toujours dans l'une des rues étroites de la vieille ville ou prisonnier de sa cave recouverte de gravats. Dehors, tous les arbres s'embrasent comme sur des peintures de l'Apocalypse.

 

 

Les treize camions des pompiers ne peuvent intervenir, car dès le début du bombardement l'adduction d'eau a été interrompue par la destruction ciblée de l'usine qui l'assurait. Les différents services de secours restent sans ordre d'intervenir et cherchent à éteindre les flammes sans véritable coordination. Le téléphone est mort. Vers le matin, trois mille hommes luttent tout de même contre les flammes. Mais en vain.

Dans les rues du centre-ville le bitume fondu brûle. La mort rattrape tous les gens qui avaient trop tardé à quitter leurs caves et qui sortent maintenant avec comme seule protection des couvertures trempées, mais vite séchées par la température très élevée de l'air. Sans savoir où se rendre, totalement paniqués, des milliers de Darmstadtois courent vers la mort. Personne ne leur a indiqué des itinéraires leur permettant d'atteindre la périphérie de la ville ou le grand jardin public, le Herrngarten. On a omis d'étudier des solutions locales en tenant compte des bombardements meurtriers qui avaient détruit d'autres villes.

Et c'est ainsi que ceux que les bombes explosives avaient épargnés errent à travers le brasier. Leurs vêtements prennent feu. Ils étouffent par manque d'oxygène. Certains sont aspirés par le tourbillon violent de l'incendie à l'intérieur duquel les températures dépasseront les 1500 degrés.

 

La tempête de feu fait chanceler les hommes comme des ivrognes. Des étincelles, des bouts de bois et du papier goudronné leur tombent dessus. Celui qui s'écroule, celui qui lâche les mains de la chaîne humaine qui avance, celui qui ne se décide pas à abandonner sa lourde valise, celui-là est perdu. Des centaines sont réduites en cendres. On ne retrouvera pas la moindre trace de leurs corps. D'autres restent englués dans le bitume et sont transformés en momies. Leurs cadavres calcinés se tiennent debout, les bras pliés pour courir ou levés au ciel, carbonisés dans leur fuite. D'autres encore sont écrasés par les murs, les cages d'escalier ou les portails qui s'effondrent.

Peu de familles parviennent à s'enfuir sans être séparées. Dans les jardins publics, sur les places autour des fontaines ou dans les rues épargnées par le feu des quartiers extérieurs, les survivants s'écroulent, épuisés à mort, couverts de brûlures, empoisonnés par la fumée, paralysés par la peur panique et le désespoir.

 

 

Aux limites de la ville, dans les rues plus larges tracées au dix-neuvième siècle qui n'avaient pas été bombardées, la tempête de feu progresse néanmoins, entre dans les immeubles par les portes et les fenêtres aux vitres éclatées. Inexorablement. Les habitants ont réussi à sortir quelques meubles ou vêtements, mais aussi des objets les plus saugrenus. Hébétés, ils regardent les flammes consumer pièce par pièce. Seul le fait que tous partagent le même sort leur permet de supporter leur désespoir.

 

 

Certains corps brûlent très longtemps. Ils sont couverts de toutes petites flammes. Du phosphore.

 

 

Sur Mathildenplatz, sept chevaux échappés des écuries municipales galopent en hennissant et en secouant les étincelles qui tombent sur leur pelage. Ils se réunissent en groupe pour sortir des flammes qui entourent toute la place, mais ils ne trouvent pas d'issue.

 

 

La grande coupole en cuivre de l'église Saint-Louis fond sous les flammes embrasant les boiseries qui la soutiennent. Un peu plus loin, sur Marienplatz, se présente un spectacle surprenant : une vache se tient calmement au milieu des survivants. Personne ne sait d'où elle vient.

 

 

Il est quatre heures. La mer de flammes ne trouve plus beaucoup de nourriture. Les caves avec les réserves de charbon de chauffage resteront encore longtemps incandescentes. Leurs voûtes ont souvent résisté, mais tout ce qui y était entreposé est réduit en cendres ou a fondu comme ces bijoux en or ou cette argenterie que les habitants avaient déposés dans les caves.

 

 

Les campements des survivants dans les jardins publics et sur les grandes places sont le théâtre de scènes épouvantables. Sorties des flammes in extremis, bien des victimes succombent à leurs brûlures après d'horribles souffrances. Mais il arrive aussi que les bombes épargnent des vies. De l'orphelinat des puéricultrices apportent des nourrissons qu'elles posent sur le sol. Ils dorment à poings fermés.

 

 

Cependant, des groupes de sauveteurs venus des communes voisines se sont jetés dans le chaos. Médecins, infirmières, bénévoles de la Croix Rouge soignent les blessures des habitants et calment l'insupportable douleur derrière leurs paupières.

 

 

Dominant la vieille ville dévastée comme une forteresse, la prison est restée miraculeusement intacte. Aucune bombe explosive ne l'a touchée. Aucun détenu n'a été blessé. Les nombreux débuts d'incendie ont été éteints par les prisonniers eux-mêmes dont les portes de cellules avaient été déverrouillées lors de l'alerte.

 

 

Le matin du 12 septembre permet un premier bilan provisoire. Environ 5 000 hommes commencent leur travail qui consiste à repérer les rares survivants et à rassembler les cadavres dans les rues. Dans le grand cimetière à l'ouest de la ville des prisonniers russes creusent d'immenses fosses communes. Des camions amènent de la chaux. Il n'y a plus ni eau ni électricité ni gaz. On distribue des milliers de sandwichs. De petits hôpitaux d'urgence sont installés sous des tentes. Toutes les salles de sport et toutes les écoles dans les faubourgs sont réquisitionnées et les lieux de regroupement des cadavres, déterminés. Tandis que les uns fuient vers la campagne et les villages environnants, les autres retournent dans les quartiers toujours extrêmement dangereux à cause des façades et des planchers qui s'effondrent et des flammes qui rejaillissent brusquement. Ceux-là cherchent leurs proches qu'ils espèrent retrouver vivants. Ou morts. Partout, l'air est saturé par une odeur douceâtre. La ville est recouverte d'une fine couche de suie et de cendres.

 

 

Les témoins oculaires évoquent des scènes déchirantes de retrouvailles inattendues entre membres d'une même famille qui s'étaient perdus pendant leur fuite, mais aussi des gens qui avancent, hébétés, sidérés, dans les rues pleines de décombres, jour et nuit, jusqu'au moment où ils s'arrêtent devant un corps carbonisé avec la certitude que c'est bien l'être cher qu'ils avaient cherché. Les cadavres de familles entières trouvent place dans une cuve à linge.

 

 

Dans une vaste cave collective de la Rheinstrasse les tuyaux du chauffage central avaient éclaté. Une grande quantité d'eau surchauffée est projetée sur les corps des soixante personnes abritées. Le matin suivant, lorsque les secouristes y descendent avec des échelles de cordes, ils ne trouvent qu'un horrible amas de chairs bouillies.

 

 

Près de là, deux femmes enceintes s'écroulent, inconscientes, et pendant que leurs corps se consument, des enfants naissent avant d'être à leur tour victimes des flammes. Cette scène émeut tellement les habitants qu'ils laissent les femmes et leurs nouveaux-nés calcinés dans la rue pendant 24 heures, sans y toucher.

 

 

Muets, sans une larme, avec leurs visages de vieillards, les enfants regardent l'horreur qui les entoure. Certains parents leur ont bandé les yeux pour les amener vers un endroit moins traumatisant.

 

 

Il n'y a pas assez de cercueils. On pose les restes calcinés d'un proche dans un carton pour l'amener au cimetière. Des hommes portent des baignoires d'enfant desquelles dépassent des corps momifiés, cinq ou six dans un bac. Rétrécis comme si c'étaient des poupées.

 

 

Au cimetière on voit un demi-cercle formé par des cercueils, des baquets, des valises et des caisses en carton. Toute la journée les Darmstadtois apportent les restes de leurs morts, parfois dans de vieux seaux. Ils ont le faible espoir que les leurs échapperont à la fosse commune. Parfois, posé dans un bac, un papier portant une inscription telle que « Luisenstrasse – 12 morts ».

 

 

Il y a des rues sans le moindre survivant. Les morts sont alignés par terre et ne peuvent être identifiés que par des détails, une alliance, un reste de vêtement.

 

 

On estime le nombre de morts à 12 300. Pas de chiffre quant aux blessés. 70 000 personnes avaient perdu leur habitation. 65 pour cent des victimes sont des femmes. Environ vingt pour cent des morts sont des enfants de moins de seize ans. Les prisonniers russes du vaste camp situé près du champ de mars sont morts dans les flammes. Aucun survivant.

 

 

 

1 Tous les éléments de ces témoignages oculaires sont contenus dans le livre Die Brandnacht publié à l'initiative du journal local Darmstädter Echo, dix ans après le « nine eleven » de Darmstadt.

2Champ de mars

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